RDC : Silence, on viole en masse

Publié le par jemarche

Résultat de l’état de guerre permanent et de l’anarchie ambiante, les sévices sexuels se multiplient dans les provinces orientales du pays. Pis, ils atteignent des sommets de sauvagerie. Reportage dans un hôpital de Bukavu.


RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO • Silence, on viole en masse

Denis Mukwege, gynécologue congolais, ne peut plus supporter les histoires que lui confient ses patientes. Chaque jour, elles sont une dizaine de femmes ou de jeunes filles violées à se présenter dans son service. Certaines sont si sauvagement agressées que leurs organes génitaux, voire leur appareil digestif, sont irrémédiablement détruits.

 

 

Cette “épidémie” de viols qui sévit dans l’est de la république démocratique du Congo se développe à une échelle sans précédent. Selon les chiffres des Nations unies, 27 000 cas ont été décomptés en 2006 pour la seule province du Sud-Kivu. Le chiffre est évidemment beaucoup plus élevé dans l’ensemble du pays. “En RDC, la violence sexuelle atteint des sommets”, souligne John Holmes, sous-secrétaire général aux affaires humanitaires de l’ONU. “La fréquence des agressions, la sauvagerie des actes, la culture de l’impunité : tout y est épouvantable.”

 


Les élections mémorables de l’année dernière étaient pourtant censées aider ce pays de 66 millions d’habitants à en finir avec ses nombreux conflits et rébellions. Mais le scrutin, dont l’organisation a coûté 500 millions de dollars, n’a permis ni l’unification de la RDC, ni le renforcement de sa position dans ses négociations avec les groupes de rebelles, dont la plupart des dirigeants se trouvent à l’étranger. Le système judiciaire et l’armée fonctionnent toujours très mal, et selon les Nations unies les soldats congolais figurent parmi les pires agresseurs en matière de viol.

 

 

De larges pans du pays, en particulier dans l’Est, restent des zones de non-droit. Les civils y sont à la merci de groupes armés qui tirent leurs revenus des attaques de villages et des enlèvements de femmes contre des rançons. Les “Rastas” – issus des milices hutues qui ont fui le Rwanda après le génocide de 1994 – sont devenus des spécialistes des actes de cruauté. On le sait, le viol a toujours été une arme de guerre. Mais, de l’avis de chercheurs comme Alexandra Bilak [qui a étudié différents groupes armés basés sur les rives du lac Kivu], “en RDC, cela va au-delà du conflit”. Malteser International, une ONG européenne qui subventionne des centres de santé dans l’est de la RDC, estime à 8 000 le nombre de cas de violences sexuelles qui seront traités cette année, contre 6 338 l’an dernier.

 


Un flot ininterrompu de nouvelles victimes L’organisation rapporte que 70 % des femmes de la ville de Shabunda ont subi des sévices sexuels. Les agressions se poursuivent malgré la présence de 17 000 soldats [le plus fort contingent de maintien de la paix de l’ONU au monde]. Médecins, humanitaires et chercheurs congolais et occidentaux sont ainsi incapables d’expliquer exactement ce qui est en train de se produire. “C’est là le problème”, affirme André Bourque, un conseiller canadien qui travaille pour des ONG implantées dans l’est de la RDC. “Les violences sexuelles atteignent ici un niveau jamais atteint ailleurs. Il est même plus élevé qu’au Rwanda durant le génocide.”

 

Le début de cette “épidémie” de viols semble remonter au milieu des années 1990, à l’époque où des légions de Hutus se sont réfugiées dans les forêts congolaises après avoir exterminé 800 000 Tutsis et Hutus modérés. Selon John Holmes, les miliciens hutus “sont des gens psychologiquement détruits”. M. Bourque fait état d’un phénomène de “renversement de valeurs” qui se produit dans les zones traumatisées par des conflits prolongés. Pour protéger les femmes, les casques bleus déployés dans l’est de la RDC redoublent d’efforts. Ils effectuent même des interventions nocturnes : trois camions chargés de soldats s’enfoncent dans la brousse et laissent leurs phares allumés toute la nuit afin de signaler leur présence aux civils et aux groupes armés. Au petit matin, il leur arrive de trouver jusqu’à 3 000 villageois amassés autour d’eux.

 


Mais les ressources ne sont pas à la hauteur des besoins. Ainsi, l’hôpital Panzi ne compte que 350 lits. Et, bien qu’une nouvelle salle destinée aux victimes de viol soit en cours de construction, les femmes sont souvent renvoyées chez elles avant d’être totalement rétablies, à cause du flot ininterrompu de nouvelles victimes. Le Dr Mukwege se souvient du temps où la région de Bukavu était connue pour la beauté impressionnante de son lac et des parcs nationaux voisins, tel celui de Kahuzi-Biega. “Ils renfermaient quantité de gorilles, dit-il. Aujourd’hui, on y trouve malheureusement des bêtes beaucoup plus sauvages.”


Jeffrey Gettleman

 


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